La rhétorique par delà le bien et le mal :
- L' art oratoire , entre la haine platonicienne et la passion cicéronienne :
Par Samir Onfray :
La rhétorique a toujours été , du moins à l'ère platonicienne, un objet de critiques violentes et virulentes voire parfois malveillantes. Elle a accumulé au cours de l'histoire autant de préjugés qui la décrédibilisent et la dénigrent. Platon ,réputé pour sa grande et profonde haine des Sophistes, n'hésitait pas à chaque fois de stigmatiser et diaboliser la rhétorique qu'il jugeait une discipline profane et immorale. Sa critique et sa haine à l'égard des Sophistes peut être justifiée par l'incarnation et la passion de ces derniers pour l'art oratoire. Un art que l'auteur de la République associait, de bonne ou mauvaise foi, à la supercherie et au mensonge. La rhétorique passe dès lors aux yeux du philosophe grec pour être un instrument de manipulation et de domination d'où le combat farouche qu'il n'avait de cesse de lui livrer. Or, faut-il bien le rappeler, la rhétorique n'est, par définition, ni bonne ni mauvaise. Comme nous l'enseignaient déjà les Romains et en particulier Cicéron , la rhétorique ne peut être définie à priori, mais elle elle sera plutôt ce que l'on en fait à posteriori. Autrement dit, elle peut être au service du bien comme du mal, du vice , de la vertu, grosso modo , elle est un instrument à double tranchant. Cependant, la tradition romaine voulait et exige que la rhétorique ne soit dissociée de l'éthique. Ainsi, l'art de bien dire doit servir, selon la pensée romaine, à la quête de la vérité et à la promotion de la vertu. De ce fait, tout usage malveillant et détourné de cette technique ne peut être que condamné par les bonnes consciences.
Dans cette conception romaine, un bon philosophe doit donc faire preuve d'une maitrise plus ou moins parfaite de l'art oratoire. L' éloquence ne vise nullement ici, comme ce fut le cas chez les sophiste, la manipulation et l'instrumentalisation de l'interlocuteur, mais plutôt la découverte et la mise en valeur de la vérité.
Dixit Cicéron, bien penser est inextricablement lié au bien dire. Autrement dit, la pensée a besoin d'une certaine technique oratoire qui la clarifie et l'élucide. Il ne s'agit pas, comme chez les Grecs, de confectionner des discours alambiqué et amphibologue quitte à décevoir l'interlocuteur, mais il faut, en revanche, privilégier à cette complexité la simplicité et la clarté pour mieux servir l'intention pédagogique et didactique.
À cet égards, Cicéron assigne trois grandes fonctions majeures à la rhétorique :
1- Placere (Plaire ) :
Un discours, en l'occurrence philosophique, doit d'abord savoir plaire à l'audience. En effet, le rhéteur est amené , par le travail qu' il fait et effectue sur son discours, à susciter l'admiration et l'émerveillement de son interlocuteur. Cela serait possible grâce au choix des mots, les tournures de phrases, les expressions, qu'il met au service de son raisonnement. Cette dimension esthétique et stylistique s'adresse directement au " pathos " , elle éveille l'attention de l'interlocuteur et suscite son appétit pour suivre et écouter le discours.
2- Docere , (instruire ) :
Si un discours doit savoir d'abord plaire à l'interlocuteur, c'est aussi pour garantir son efficacité à instruire. En effet, tout discours est censé permettre aux individus d'apprendre, de s'instruire, et de se construire loin de toute entreprise malveillante de démagogie et de manipulation. Le discours philosophique vise essentiellement l'affranchissement et l'éclaircissement des consciences individuelles. Former des citoyens libres, autonomes, telle est l'oeuvre suprême de la philosophie. Cette fonction didactique et pédagogique inscrit et érige la rhétorique au rang d'une discipline humaniste.
3- Movere ( Emouvoir ) :
Cette dernière fonction qui est la résultante des deux précédentes, consiste à émouvoir l'interlocuteur. il s'agit de l'inciter à réagir , à dopter une nouvelle vision ,voire même de se débarrasser de certains dogmes et lieux communs ...bref, il y a là une fonction morale du discours qu'Aristote appelle une fonction cathartique et purificatrice. En d'autre termes, on affaire à un exorcisme de l'âme.
En guise de conclusion, si la rhétorique passait chez Platon et ses apôtres pour être un instrument diabolique, un art de tromper , force est bien de constater qu'elle occupait chez les Romains une place prépondérante, elle est un principe fondamental de la philosophie, elle est est même une conditions sine qua non de la pratique philosophique.
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